self reflection

self reflection

"Ce personnage, c'est vous.
Vous vous sentez perdu.
C'est peut-être le moment pour une introspection.
(Appuyez sur Espace pour percevoir)"

self reflection est un court jeu développé par torcado lors de la Ludum Dare 48 dont le thème était "Deeper and deeper". En bon français : "De plus en plus profond". C'était en 2021, il y a 3 ans déjà.

C'est long, 3 ans.
La semaine dernière, j'étais à la Paris Games Week pour présenter une démo jouable de Looking for Fael sur le stand d'ARTE. Le développement du jeu a commencé il y a 3 ans...

Dès le premier écran de jeu, le ton est donné.

Je peux bouger mon personnage avec les touches fléchées, toucher ce qui ressemble à un interrupteur, pousser un objet dont je ne comprends pas la forme ni la fonction et... Quand j'appuie sur la barre Espace, c'est comme si je tirais une sorte de rayon laser devant moi. Le jeu appelle ça "percevoir". Ça n'a pas l'air de faire grand-chose. À quoi ça sert ?

Parfois, je me le demande.
3 ans pour créer un jeu indépendant : à quoi bon faire tous ces efforts ? Au bout de 2 ans, notre équipe de 2 était passée à 8. On entrait tout juste en phase de production. Notre programmeur a quitté le projet quelques semaines après et il nous a fallu rapidement trouver quelqu'un pour le remplacer. Ce n'était pas grave, en soi, mais ce n'était quand même pas la meilleure des façons d'entamer la prod'.

À moins que... Mon laser est bleu. Cet objet que je peux pousser possède aussi une surface bleue. Ah, oui : bingo ! Quand je lui "tire dessus", le niveau disparait dans un zoom et un nouveau apparait. "Percevoir", ce serait comme... se regarder dans un miroir pour progresser dans le jeu ?

Je ne compte plus, cette dernière année, le nombre de fois où j'ai eu envie de tout envoyer balader, d'abandonner le projet, d'arrêter carrément le développement de jeux. Mais je ne pouvais pas : j'avais déjà signé avec un éditeur, obtenu des subventions. Comment j'aurais pu rembourser tout cet argent ? Et puis ç'aurait été comme abandonner les personnes qui me font confiance, les membres de l'équipe qui travaillent sur le projet et toutes les personnes qui me soutiennent.

"Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus heureux ?"

Sur l'écran, un texte s'affiche : "En apparence, vous semblez aussi heureux qu'on puisse l'être. Vous aimeriez pouvoir réparer vos erreurs (pressez Z et X pour annuler ou rejouer un mouvement)". Il y a plusieurs miroirs obliques, qui renvoient mon rayon à 90 degrés, et une caisse à pousser. Aussi, une case marquée d'un éclair dont je ne saisis pas bien l'utilité.

J'ai parfois passé plusieurs jours à juste regarder mon écran d'ordinateur, le regard vide, la tête embrumée, à me ronger les ongles jusqu'au sang. Je n'arrivais à rien, trop anxieux, comme pétrifié par la difficulté de la tâche. Faire un jeu, quelle folie ! Je m'en suis voulu, mais j'ai tenu. Un jour de plus, une semaine, un mois... Et petit à petit, à force d'efforts qui me semblaient surhumains, j'ai vu comme le jeu prenait forme. Grâce aux efforts de toute l'équipe de développement.

En alignant les miroirs, je parviens à passer au niveau suivant.
Mon personnage est devenu tout bleu et affiche à présent une mine triste : "En creusant un peu plus profondément, vous réalisez que les choses ne sont pas aussi géniales qu'elles paraissent.". Il y a beaucoup d'interrupteurs dans ce niveau, qui n'activent pas tous des mécanismes visibles, ainsi qu'un miroir qui a l'air inactif. Peut-être que si je reviens en arrière avec la touche Echap...

Vous ne tarderez pas à comprendre à quoi servent ces interrupteurs verts et rouges.

Face aux doutes, j'ai bien fait de ne pas abandonner. Looking for Faël ressemble vraiment à quelque chose aujourd'hui, et il s'améliore un peu plus chaque jour. Il y a encore du travail à fournir, mais les retours des joueur·euse·s sur les salons sont tellement encourageants ! Même quand ils cassent le jeu, je ne ressens aucune frustration. Juste l'envie de réparer ce qui ne fonctionne pas et de faire mieux avant le prochain salon ou le prochain playtest.

C'est ça : il faut revenir en arrière ! Les niveaux ne se succèdent pas simplement : ils sont connectés entre eux par leurs mécanismes. Et j'ai remarqué une chose : chaque nouveau niveau prend la couleur de mon précédent avatar. Donc quand je passe à un autre niveau, et que la caméra zoome... C'est comme si j'entrais à l'intérieur de moi ! Je dois passer d'un "moi" à un autre, parfois en remontant loin en arrière et en modifiant mes actions passées, pour pouvoir progresser et m'enfoncer un peu plus encore dans le jeu.

Du latin "introspectus", métaphoriquement l'acte de "regarder à l'intérieur" de soi.

Vous comprenez pourquoi je ne pouvais pas reprendre cette newsletter avec un autre jeu que self reflection ? C'est un petit jeu de réflexion qui marie habillement ses mécaniques de jeux avec une forme de narration toute simple. Et mieux encore : en jouant à self reflection, qui porte décidément bien son titre, on peut sentir la présence de son auteur. Quel plaisir ! Je me suis vraiment fait surprendre par ce jeu, pour ne pas dire cueillir.

Et en même temps, 3 ans, ça peut paraitre court. Alors autant en profiter le plus possible, en continuant à apprendre et à apprécier le processus même de développement...

... et en jouant à plein de jeux de réflexion. Des jeux qui font réfléchir et qui, comme des miroirs, peuvent aussi nous réfléchir !

🕹️
Titre : self reflection
Développeur : torcado
Disponible sur itch.io
Prix : Gratuit

🧩 Les Conseils de Ciboulot 🧩

Ciboulot, notre mascotte pièce de puzzle, est un expert (autoproclamé) de la conception de jeux. En toute humilité, il nous partage ses lumières.

Cette infolettre va-t-elle enfin reprendre un rythme de publication plus régulier ? J'y compte bien et je vais y veiller personellement.

Mais trêve d'introspection ! Ce que nous rappelle aussi self reflection, c'est que créer un jeu avec de fortes contraintes (de thème, de temps ou de moyens) est souvent une bonne chose. Cela permet de ne pas se lancer dans des projets démesurément longs ou hardus, et de créer des expériences de jeu encore plus singuliaires !

Le jeu "intelligent" n'est pas un genre très populaire auprès des éditeurs, donc pas le plus simple à financer. Mais au moins on peut se réjouir que, de singularité, les jeux de réflexion et les personnes qui les créent n'en manquent pas.

Merci pour ta participation, Ciboulot, et merci à vous, chers lecteurs et lectrices, de nous avoir lu. On se retrouve très bientôt !